Les Subversifs
16 avr. 2024
Les Subversifs : donner du lustre aux spiritueux d’un autre temps
Texte : Elizabeth Ryan, Sommelier Nordiq
Si aujourd’hui le gin québécois est une tendance bien implantée, c’est grâce à des pionniers qui ont pris des risques pour réussir à ramener ce spiritueux oublié sous les projecteurs. Parmi ceux-ci, Les Subversifs, une microdistillerie de Sorel fondée par deux gars de Longueuil qui ont ravivé la flamme pour le gin en lançant en 2011 le Piger Henricus (rebaptisé Marie-Victorin depuis). En quelques années de travail de terrain intensif, le gin local est passé de ringard à cool et les joueurs de l’industrie se sont multipliés. Les Subversifs dans la vie comme en affaires, Fernando Balthazar et Pascal Gervais, ont poursuivi sur cette lancée en donnant vie à toute une gamme de spiritueux d’exception qui dépoussièrent avec irrévérence nos traditions québécoises. Portrait d’un duo devenu trio qui pense toujours deux coups d’avance.
Une amitié qui tourne au gin
L’aventure des Subversifs commence à la fin des années 2000 lors de soupers à refaire le monde entre voisins du Vieux-Longueuil. Fernando Balthazar et Pascal Gervais se plaisent à imaginer ensemble une nouvelle direction à donner à leur vie. Ce qu’ils ont en commun : un intérêt pour la fabrication du whisky. C’est lors d’un voyage à Brooklyn, New York, que les deux entrepreneurs dans l’âme ont de bonnes raisons de croire au potentiel de leur projet. À New York, les spiritueux locaux ont la cote. Pourquoi ne pas s’en inspirer au Québec et fonder une première microdistillerie? À leur retour, les deux comparses sont ramenés à la réalité, forcés d’abandonner l’idée du whisky. La raison? Le vieillissement du produit en barrique pendant quelques années rend l’aventure trop risquée financièrement. C’est là que l’idée de sortir le gin des boules à mite fait surface. Le rêve ne peut plus attendre : la microdistillerie Les Subversifs est officiellement fondée en 2010.
Pourquoi Les Subversifs?
« Ce nom exprime la volonté de faire les choses différemment, de renverser l’ordre établi, d’incarner notre identité de précurseurs, et surtout, apporter une option québécoise au marché des spiritueux internationaux dominants de l’époque. »
Pascal et Fernando
Le gin avant le boom : la profession de foi des Subversifs
À l’époque, personne n’a de boule de cristal pour prédire les années folles du gin québécois. Sur le marché, il n’y a que de grandes maisons internationales qui règnent en souveraines sur les tablettes. Comment Les Subversifs peuvent-ils être certains de flairer une bonne affaire? Impossible. De tout miser sur le gin qui appartient pour les Québécois à une autre époque relève pratiquement de la profession de foi. Quoi qu’il en soit, les irrévérencieux semblent vouloir mettre la providence de leur côté en s’installant dans une ancienne église lumineuse de la ville de Sorel. Sans compter un logo composé de l’alvéole d’un ange. Que de clins d'œil pour susciter la faveur des dieux qui, chaque chose en son temps, finissent par bien les entendre.
Faut-il rappeler que le succès n’a pas été instantané pour Les Subversifs. Pour réussir, non seulement a-t-il fallu prendre par la main voire convaincre les clients et les conseillers en SAQ un à un de s’intéresser à leur travail, mais il a fallu être motivé et ne pas compter les heures ni les kilomètres avalés pour faire des dégustations partout où c’était possible. Un grand travail de fond pour éveiller les papilles québécoises et lancer la grande révolution du gin québécois. Les très nombreuses microdistilleries qui ont emboîté le pas à Fernando et Pascal leur doivent une fière chandelle.
Des étiquettes qui donnent vie à des personnages oubliés de notre folklore
Les adeptes de la première heure des gins québécois n’oublieront jamais le tout premier bébé subversif, le Piger Henricus, véritable catalyseur pour la jeune marque. La grande qualité de cette première mouture : la macération sur le légume panais qui lui confère une touche d’amertume irrésistible et un petit kick de sucrosité parfaitement agréable. Rapidement, les cofondateurs se rendent compte que le nom de cuvée n’est pas particulièrement facile à retenir pour le public. Piger Henricus change alors d’identité pour devenir Marie Victorin. Les Subversifs 2.0 sont nés et dans la foulée, la créativité explose dans l’alambic de la petite église de Sorel.
Il est aujourd'hui facile de repérer la famille des Subversifs sur les tablettes de la SAQ. La marque a développé une identité visuelle forte, incarnant à merveille sa philosophie irrévérencieuse. Les étiquettes sortent du lot grâce à des portraits émouvants de personnages québécois plus grands que nature, réalisés par nul autre que le grand artiste québécois Marc Séguin.
Irma, Arthur, Émilie, et tous les autres, on peut dire que ces hommages en bouteille à ces pionniers subversifs de notre folklore québécois réussissent le tour de force de nous toucher au cœur et de susciter la curiosité dès la première rencontre.
Les Subversifs en trois cuvées
Les Subversifs, c’est certes le gin, mais bien plus encore. Bien qu’un père aime évidemment tous ses enfants d’un même amour, on a demandé à Fernando et Pascal de présenter les trois cuvées qui valent le détour et qui résument bien la vision et le talent de l’entreprise.
Crème de menthe Isabelle
On aime le lien parfait entre l’histoire d’Isabelle, femme politique métisse des années 1700, et celle de la crème de menthe : tous les deux ont été oubliés et pourtant, ils font partie intégrante du patrimoine du Québec. La force de ce produit : sa texture onctueuse et son goût de menthe poivrée ont tout pour plaire aux adeptes de crème de menthe, tout en ayant le potentiel de surprendre les sceptiques.
Réduit de Léo
C’est le deuxième produit de notre histoire après le gin. Avec le Léo, on a ravivé une tradition québécoise de cabane à sucre qui consiste à mettre du gin dans le réduit. Il n’a jamais été question pour nous de produire plusieurs gins, mais bien de faire les choses de façon subversive. Le Réduit de Léo s’inscrit dans cette philosophie.
Liqueur de whisky à l’orange Grand Antonio
C’est comme un Grand Marnier, mais on remplace le cognac par un whisky canadien 6 ans. On a une culture de whisky ici au Canada, mais pas vraiment de brandy. Donc pour nous, l’idée était de proposer une liqueur à la sauce canadienne! Être subversif, ça n’a pas besoin d’être compliqué!
Bâtir l’avenir sur des bases solides
Après tout ce chemin parcouru, à quoi rêve aujourd’hui le duo de vétérans microdistillateurs? Les voisins depuis 30 ans, Fernando et Pascal, répondent sans aucune hésitation avec la complicité des vieux couples heureux qui finissent la phrase de l’autre : « Nous continuerons à être subversifs, à toujours penser les premiers à la prochaine patente, à réfléchir à comment on peut innover dans tous les aspects de nos opérations, à toujours chercher à peaufiner notre image de marque. Surtout, ce qu’on va faire, c’est travailler plus fort pour rejoindre le cœur de nos consommateurs. »
Des bras et pas n'importe lesquels se sont ajoutés à la famille des Subversifs dans la foulée de la pandémie. Un certain Maxime Gervais, vous l’aurez peut-être deviné, le fils de Pascal, est débarqué dans la petite église de Sorel avec tout un bagage en poche : 15 ans de restauration et d’hôtellerie dans le corps, la jeune trentaine et le couteau entre les dents, il est ravi de garnir les rangs de la petite équipe agile d’entrepreneurs. En prime, Maxime habite dans le même quadrilatère du Vieux-Longueuil que Pascal et Fernando. Signe que Les Subversifs, c’est d’abord et avant tout une histoire de bon voisinage qui a très bien tourné.